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La création en exil

Propos recueillis par Sophie Boukhari, journaliste au Courrier de l’UNESCO.

Tous les cinéastes n’ont pas la chance de pouvoir travailler dans leur pays. La réalisatrice argentine Alejandra Rojo raconte son parcours et sa différence.

Comment êtes-vous venue au cinéma ?

Alejandra Rojo: Quand j’étais petite, je voulais être peintre. Pourtant, je ne vivais pas dans un milieu artistique mais très politisé: un père avocat et une mère psychanalyste. Vers 15 ans, ce désir m’est passé. J’ai eu mon bac et j’ai commencé des études scientifiques. Mais au bout de deux ans, après un été en Argentine, j’ai tout arrêté et je me suis dit que j’allais faire des films. J’ai étudié le cinéma et je me suis lancée.

Dans quelles circonstances êtes-vous arrivée en France ?

A. R.: Je suis arrivée à 12 ans. Exilée. Mon père était défenseur de prisonniers politiques. Toute la famille a dû quitter l’Argentine. C’était l’époque des escadrons de la mort; 22 000 disparus... Apparemment, on était sur la liste.

Quels sont les inconvénients et les avantages de l’éloignement vis-à-vis de votre pays d’origine? Influe-t-il sur votre manière de faire du cinéma ?

A. R.: L’exil, c’est un changement de destin. Forcément un arrachement. Mais moi, la moitié de ma famille n’a pas été assassinée ou dans des camps. J’ai fait un voyage en bateau qui a duré 15 jours et ensuite, j’ai connu le déclassement social. On était quelqu’un chez soi et tout d’un coup, on n’est plus personne. Au fond, ce n’est pas si mal. On est moins à la merci de son milieu social.
Le fait de travailler dans une autre langue que la sienne crée un style par manque de conformité, d’adéquation totale avec la chose dite. Je suis tout le temps consciente de la différence: ce qui est comme ça ici serait autrement là-bas. C’est le lot de beaucoup d’immigrés, cette impression de double vie. Mais mon statut d’artiste passe au-dessus.
L’exil est moyennement intéressant à vivre mais passionnant sur le plan cinématographique. Il crée de la nouveauté, une source de fictions. Aujourd’hui, notre planète où tout le monde circule rappelle ces populations intergalactiques de science-fiction qui déménagent, ces grands exodes. Quand je me mets à écrire, je ne me dis pas que je vais raconter des histoires d’exilés. Mais ça vient tout seul, d’un endroit profond, inconscient.

Quels sont vos liens avec votre pays d’origine ?

A. R.: Je ne retourne pas souvent en Argentine. La dernière fois, j’ai eu l’impression de vivre dans une colonie des Etats-Unis. En France, on ne réalise pas à quelle vitesse la mondialisation avance. Les pays du Sud deviennent des colonies, des camps de vacances ou des camps militaires du grand empire américain. Il y a un film à faire là-dessus.
Je retournerais bien en Argentine pour travailler, c’est tout. C’est lié à un certain rejet de ma famille. Je ne vois rien de très passionnant à être argentin. Il est très difficile de sentir une identité culturelle dans ce pays. C’est une espèce de patchwork récent dont je suis une parfaite illustration. Ma grand-mère maternelle était lithuanienne et son mari égyptien de langue yiddish. Mon grand-père paternel, qui était un Espagnol catholique, avait épousé une Russe allemande protestante.

Avez-vous envie de vivre dans votre pays d’origine ?

A. R.: Je pense qu’il y a quelque chose en Amérique latine qui vaut la peine d’être approfondi, mais que je ne l’ai pas rencontré.

Quels sont vos projets ?

A. R.: Je travaille sur l’histoire d’une femme qui se dédouble. Un robot qui remplace une femme.

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